La naissance, on dit que ce qui se produit à l'instant de notre venue au monde détermine l'être qu'on le deviendra. Ma mère me rappelle souvent que je suis né au crépuscule, à l'instant exact où le jour cède lentement sa place aux ténèbres. Était-ce un jeu du Destin, qui jouait encore de sa meilleure arme, la Fatalité ? Devenir loup-garou est plus encore qu'un coup de la fatalité, c'est une attaque mesquine et destructrice du sort, sentir dans mes veines le sang de cette créature me dégoûte, ma vie qui se dessinait si simple se retrouve partagée entre nuits sanglantes et journées à s'efforcer d'être pareil au commun des mortels. Le regard dans le vide, les pensées vagabondant dans les méandres de mes souvenirs, un livre posé sur les genoux que je ne regarde même pas je me remémore le jour maudit où il est venu assouvir sa vengeance contre mon paternel.

Rien qu'un jour comme les autres, sauf peut-être cette atmosphère lourde, pesante, il règne dans cette rue une étrange sensation, comme si quelque chose d'horrible allait se produire. J'avance, doucement, le rêve se fait plus pénétrant, je me retrouve à cet instant où mon existence va basculer, je suis dans le corps de cet enfant qui ignore encore l'horreur qui va lui tomber dessus. Je m'arrête au milieu de la chaussée, courir ou attendre l'inévitable ? Ne plus bouger, se résigner, ou tenter d'échapper au Destin ? J'ai déjà couru, courir ne sert à rien qu'à accentuer davantage la douleur, et je ne veux plus avoir à la supporter, je choisis de rester immobile, tête baissée. J'entends déjà son souffle précipité dans mon dos, je sens son odeur putride se répandre autour de moi et le coup fatal est violent, brutal, cruel. Et je peux sentir sa haine se déverser dans mon être, je sens la damnation s'insinuer en moi, le châtiment explose en une myriade d'éraflures, et ses griffes qui lacèrent ma peau, marquent à jamais les traits de mon visage...

« Moony ? Moony ! MOONY ! » je sursaute, balançant mon livre au milieu de la salle commune en manquant d'assommer Sirius... j'ai toujours été un piètre lanceur. « Padfoot, qu'est-ce que tu veux bon sang ! » « Absolument rien. » qu'il me dit avec son sourire idiot made in Orion Black placardé sur les lèvres. Je n'aime pas, mais alors pas du tout quand Sirius arbore ce genre de rictus, ça signifie qu'il a une idée en tête et celle-ci est très rarement de bonne augure, surtout pour les quelques Serpentards qu'on pourrait croiser dans les couloirs en se baladant ce matin. Wormtail est derrière lui et me regarde bizarrement, il est vrai que je hausse rarement le ton, même lorsque l'on me sort d'une rêverie, quand bien même je serais entouré de chocolat, mais ce n'était pas qu'un songe, c'était une réminiscence avide de me rappeler chaque jour que je suis l'infâme mélange entre un monstre sanguinaire et un simple adolescent. Je ravale ma mauvaise humeur et remarque bien vite qu'il manque un membre au bataillon. « Où est James ? » « Prongs ? Oh il court encore après les faveurs d'Evans. » dit-il un brin moqueur, alors que je déglutis en tentant de rester impassible devant ses mots. « Sur ce, on a un Servillus a accrocher en haut d'un arbre. » lance-t-il en me forçant à me lever. « Sirius, tu ne crois pas qu'on devrait arrêter de... » « Wormy tu viens ? » me coupe-t-il, feignant royalement de ne pas m'avoir entendu. Je soupire et lui emboite le pas, Peter reste quelques secondes derrière nous avant de nous suivre. Sur le chemin du parc, alors que brille à travers les vitres les faibles lueurs de ce début de printemps, je suis dans la lune, n'écoute pas les paroles de Sirius que je connais par cœur quand il s'agit de Severus, obnubilé par l'image de James cherchant à séduire Lily. Les mains dans les poches je marche de cette allure nonchalante qui m'est si propre, gardant rivé sur le sol mon regard « mêlant lueur d'humanité et de sauvagerie » comme le dit si malheureusement souvent ma génitrice, avec dans les pensées tous les moments si heureux que j'ai passé grâce à Sirius, James et Peter, les seuls amis sur lesquels j'ai jamais pu compter, eux-mêmes qui sont devenus des animagi pour me soutenir, ceux-là même qui ne me regardent pas comme une bête sauvage mais simplement comme le garçon que je suis. Peut-être que je ne le leur dirais jamais, mais ils m'ont sauvé la vie, d'avoir été là, ils m'ont permis de vivre comme un adolescent normal, ils m'ont offert une amitié sans équivalent. On pousse la grande porte qui mène à l'extérieur, non sans avoir droit à quelques murmures d'élèves - principalement féminines - sur notre passage. La popularité a, certes ses avantages, mais également ses défauts, si bien que l'on se retrouve face à un groupe ne désirant qu'une chose, je cite : « nous faire tomber de notre trône. » Je ricane à cette pensée. Mes réflexions sont interrompues par le retour d'un James boudeur. Je ne prête qu'une oreille distraire à son récit, ne pouvant cependant me retenir de me joindre à Peter après que Padfoot ait demandé à James ce que Lily lui avait dit, quelque chose du genre : « pourquoi sortirais-je avec quelqu'un qui a déjà un petit-ami ? » ledit petit-ami faisant évidemment référence à Black. Notre fou-rire s'intensifie devant les mines renfrognées des deux compères. Mais je suis bien vite rattrapé par le paradoxe de ce que je ressens...

Je me suis laissé piéger au jeu de l'amour. J'ai cédé sous le poids des armes, cédé à son charme. Pourtant, je sais qu'inconsciemment je l'aime depuis notre arrivée à Poudlard, sauf que je m'étais juré de me battre contre les sentiments, qu'ils représentent un bien trop gros risque pour la personne aimée. Et puis, il fallait que ce soit Lily Evans ! La fille, la seule fille qu'il m'est pourtant clairement désigné d'éviter, la Lily de James si je peux dire, celle dont il est excessivement amoureux et ne manque pas de le montrer. Je ne peux pas, je ne dois pas l'aimer, parce qu'elle est autant l'idéal de mon ami que le mien, parce que cela revient à trahir James, à risquer de la blesser. Pourtant je n'arrive pas à m'en empêcher, j'ai besoin de sentir sa présence et je ne supporte que très mal les tentatives - plutôt désespérées - de Potter ou qu'un autre s'approche d'elle. Je déteste ça. Est-ce cela l'amour ? Accepter d'être attaché à un seul être, au mépris de toute impunité. Avec elle, mon côté humain prend tellement d'ampleur. J'ai envie de me montrer tel je suis, je me sens si bien quand je suis avec elle. L'homme est faible, je suis faible. Mêlant désir, amitié et amour, ce que je ressens à son égard est si simple et si compliquée à la fois. Quand on est encore bercé par les doux rêves de l'enfance, tout parait plus beau, et surtout, tout semble éternel. Notre amitié, qui n'a eu de cesse que de grandir au cours des dernières années, me paraissait déjà un si beau cadeau pour ce que je suis. Mais l'éternité m'a bien vite rattrapée. L'amitié homme-femme a toujours été conté comme un mythe, j'y croyais et pourtant, le désir s'en est mêlé. Puis vient le temps où les mots que l'on devrait prononcer ne peuvent franchir la barrière de nos lèvres, où la peur incontrôlée de ce qui pourrait arriver bat dans nos tempes et que l'on se cache derrière les vestiges d'une amitié qui risque de tomber, sous les pensées à peine murmurées et les sentiments - indéfinissables - que l'on se susurre à demi-mots. Lily, ce nom résonne dans le tonnerre de mon esprit, est ma seule faiblesse, la seule femme qui soit jamais parvenue à me comprendre. J'ai trop peur, et l'amour est un poison violent.